dimanche 10 avril 2016

Une caresse avant de se quitter.

































C'était le 118e numéro de "Soyons-Suave Weekend" et vous nous permettrez de nous donner une petite tape de satisfaction sur l'épaule pour avoir, une fois encore, triomphé de l'adversité, même informatique. 

Ce fut néanmoins, et comme d'habitude, un plaisir. Et sur ce, nous retournons harceler nos réparateurs. 

Les très suaves heures de l'Histoire contemporaine : le jour où Donna Summer eut 23 orgasmes.






















En ce début d'année 1975, Donna Summer est un peu perturbée. Née Ladonna Gaines à Boston, elle vit depuis la fin des années 60 en Allemagne où elle a suivi la troupe de la comédie musicale "Hair" et où il lui a semblé rigolo de mettre ses pas dans les pas de son père qui stationna à Berlin à la fin de la seconde Guerre Mondiale. 

Désormais bilingue, Ladonna, rebaptisée Donna Gaines et parfois Gayn Pierre (???) a épousé un acteur autrichien du nom d'Helmut Sommer dont elle a eu une fille et a vite divorcé, elle est choriste et un peu mannequin, elle a enregistré quelques singles et a surtout fait la connaissance d'un producteur/compositeur du nom de Giorgio Moroder qui l'a aussitôt signé sur son label Oasis. Et notons ce nom quelque part puisqu'il va resurgir. 



















Sous la houlette de Giorgio et son associé Pete Belotte, Donna Sommer, devenue suite à une erreur typographique Donna Summer, vient de connaître les premiers frissons de la célébrité en voyant deux de ses singles devenir des succès modestes mais des succès tout de même, notamment en France. 

L'avenir serait donc radieux s'il n'y avait cette maquette que Giorgio vient de lui faire enregistrer, un morceau un peu coquin qui s'intitule "Love to love you", d'après une idée de Donna elle-même qui imaginait une petite chose assez romantique jusqu'à ce que son producteur pygmalion ne lui demande, en plein enregistrement, de se mettre à gémir en simulant une petite séance de plaisir solitaire.

Un peu honteuse, Donna a demandé à ce que la chanson soit offerte à quelqu'un d'autre. Mais elle reste perturbée, ignorant qu'à plusieurs milliers de kilomètres de là, Neil Bogart, président de Casablanca Records, est lui aussi perturbé et que de ce double embarras va naître l'un des plus gros succès disco de tous les temps et une terrible méprise pour Donna. 













Né Neil Bogatz à Brooklyn, Neil Bogart voue une telle vénération à l'encontre du grand Humpfrey qu'il changera vite son nom en hommage à son idole et baptisera la société qu'il crée en 1973 du nom du plus célèbre film de Bogie. Au faîte de sa gloire, les locaux de Casablanca Records seront même une exacte copie du Rick's Café Américain mais cela n'a que peu de choses à voir avec notre belle histoire du jour.

Si ce n'est, cependant, que cela illustre tout de même le sens de la démesure qui caractérisa Neil Bogart, autant reconnu pour les sommes qu'il dépensa en fêtes somptueuses que pour celle qu'il engrangea avec sa compagnie.


















Clairement, la vie de Neil Bogart est un film, à tel point d'ailleurs qu'un biopic fut en préparation en 2013 avec Justin Timberlake dans le rôle du producteur, projet sans doute enfoui quelque part et qui ne manquera pas de resurgir un jour... ou pas.

En 1973, après avoir fait ses armes chez Buddah Records où il s'occupa notamment de Gladys Knight, Neil s'associe avec Warner pour créer Casablanca, dont il rachète les parts un an plus tard après s'être rendu compte que Warner s'intéressait peu aux artistes signés par lui. Le producteur s'est par exemple entiché d'un quatuor étrange nommé Kiss qui ne vend rien. Désormais seul maître à bord, mais considérablement endetté, Neil mise tout sur un album d'extraits du talk show de Johnny Carson, immensément populaire. A peine distribué, les exemplaires sont renvoyés à la maison mère : c'est un échec.



















Ce qui va suivre est éminemment suave même si de nombreux points relèvent sans doute de la légende. Dans un premier temps, en Allemagne, Giorgio Moroder a décidé de sortir le titre enregistré par Donna et qui est un immense collector si le mot "Baby" en est absent. "Love to love you", que Donna déteste et qui fait 3 minutes, rencontre une fois encore un succès modeste, il marchotte aux Pays-Bas mais Giorgio y croit. Il le joint donc à deux autres productions qu'il envoie à Casablanca Records avec qui il aimerait collaborer pour s'ouvrir le marché américain.

A Los Angeles à présent, Neil Bogart, totalement déprimé à l'idée de devoir mettre Casablanca à peine crée en faillite, consulte le courrier du jour et s'arrête. Dans la pile quotidienne se trouve un paquet d'une société nommée Oasis (le label de Giorgio, rappelons-nous, nous l'avons d'ailleurs noté quelque part...), quant il y a quelques semaines à peine, il envoyait comme carte de voeux pour la nouvelle année un message disant, en traduisant à la louche, "quelque fois dans le désert, il y a une oasis". Pour lui pas de doute, c'est un signe. Il rentre donc chez lui le paquet sous le bras.























La suite est une de ces histoires trop belles pour être vraies et pourtant : le soir même, une grande fête est organisée chez les Bogart. Neil, ou sa femme, passe le "Love to love you" de la mystérieuse Donna Summer reçu d'Allemagne le matin, la foule entre en transe et exige un second passage. Après 10 écoutes, Neil est certain de deux choses : il doit signer la chanteuse et 3 minutes, c'est beaucoup trop court.

La condition de la signature de Donna Summer et Giorgio Moroder chez Casablanca sera donc la suivante : ils doivent faire de "Love to love you" un hymne sexuel d'une vingtaine de minutes, utilisant ce qui existe déjà mais en ajoutant encore plus de "Ohhhhhh" et de "Mmmmmmm". La pauvre Donna, dont on peut tout de même relever le sens du sacrifice, retourne donc en studio et gémit pendant 8 minutes consécutives, dans le noir par honte et en se caressant le genou par pudeur. Le résultat fera 17 minutes et se nomme désormais "Love to love you baby".
























Numéro 1 des charts disco, numéro 2 des charts tout court et se vendant à plus d'un million d'exemplaires, "Love to love you baby" va catapulter Donna Summer, reine de l'amour et Casablanca Records, maison mère du disco. Le titre devient par ailleurs l'un des premiers morceaux longue durée puisque si la version de 3 minutes est commercialisée, c'est celle de 17 minutes qui est envoyée aux radios qui, fait unique, la passe sans interruption.

Un album sort dans la foulée. "Love to love you baby" occupe l'intégralité de la face A et sur la pochette, de toute évidence, Donna se tripote un peu. C'est du moins ce que l'ensemble veut laisser croire : la musique a sa première ode à la masturbation.

Et pour enfin évoquer les 23 orgasmes du titre de ce billet, c'est le nombre auquel parvinrent les spécialistes de la BBC après avoir attentivement écouté les 17 minutes et décidé que définitivement, c'était trop pour une seule femme et pour passer sur leurs ondes.



































Si nous ne nous lassons pas de cette photo mettant en scène Donna et Giorgio en souteneur et entremetteuse, tout en nous interrogeant sur l'ironie volontaire ou pas de la chose, comment ne pas se lasser par contre du discours que tiendra Donna par la suite, expliquant combien cette image de reine du sexe lui fut pénible, la plongeant dans une sombre dépression dont elle ne sortit qu'en retrouvant Dieu et quittant Casablanca.

Nous avons observé les photos, les vidéos et les captations de concert : si on força Donna à jouer ce rôle, elle fut alors l'une des plus extraordinaires comédiennes que la musique ne connut jamais.

En tout cas, "Love to love you baby" permit à Casablanca Records d'éviter la faillite, et la société devint même très riche, puisqu'au même moment,  Kiss se mit enfin à rencontrer le succès. On signa donc à tours de bras de nouvelles têtes et l'album compilation qui sortit en 1979 en dit long sur la puissance du label à la fin des années 70.






















En 1980 cependant, et suite, entre autre, au départ de Donna Summer qui venait d'aligner 14 titres classés en 19 mois, Neil Bogart quittera Casablanca qui venait d'être racheté par Polygram. Il créera aussitôt Boardwalk records et lancera une nouvelle protégée dans un genre totalement différent : Joan Jett. En 1982 à l'âge de 39 ans, il sera emporté par un cancer.

Donna Summer, elle, désireuse de rompre avec l'image sulfureuse de ses années Casablanca, trouvera refuge chez Geffen records mais sans grand succès. On ne savait, à vrai dire, pas trop quoi faire d'elle et seul Quincy Jones, en 1982, retrouva un semblant de formule magique avec "Love is in control".

Et il est finalement assez savoureux de découvrir que son plus gros succès des années 80, "She works hard for the money", sortit en fait chez Casablanca en 1983, après que Polygram ait découvert que par contrat, Donna devait à son ancien label un dernier album. Elle retourna donc la mort dans l'âme dans son ancien studio où planait encore l'ombre de Neil Bogart pour un dernier effort. Elle en vendra plusieurs millions d'exemplaires.

































Donna Summer pourra bien dire ce qu'elle voudra, on n'enlèvera jamais à Neil Bogart d'avoir offert au monde une des plus extraordinaires chanteuses et pas seulement de la période disco et d'avoir su bien faire les choses.

En 1976, pour le lancement de "Love to love you baby" et afin de célébrer l'arrivée de Donna chez Casablanca, le producteur fit faire chez Harper, la meilleure pâtisserie de Los Angeles, un gigantesque gâteau qu'il n'avait pas les moyens de payer. Il promit alors, si Harper lui ouvrait un compte à crédit, d'en faire le fournisseur officiel de toutes les fêtes Casablanca à venir. Harper accepta et avec l'argent économisé, Bogart acheta deux billet de 1ère classe sur un Los Angeles - New York afin d'expédier le spectaculaire dessert dans le club de la Grosse Pomme où se déroulait la fête.

Et un homme qui vous envoie, même une génoise par avion, est forcément suave, non ?


Que mange-t-on ce midi ?


































Du boeuf en roulade ? Et c'est la régalade !

Et maintenant dansons !



La touche Brazil sans laquelle un weekend n'est pas totalement suave réunit tant de suavité que c'en est presque insupportable. 

L'Instant Mode du Weekend.


































Ne serions-nous pas passés à côté du total look "Je repasse mon code" ? 

C'est samedi : soyons musical !






















Cette semaine, les mp3 du weekend ne sont pas peu fiers de vous offrir ce qui est peut-être l'une des choses les plus enthousiasmantes que nous ayons entendu depuis longtemps. Enregistré pourtant en 1969, il est définitivement incompréhensible que nous ne soyons que récemment entré en collision avec les Jumping Jacques. Mais c'est aussi cela, la vie, et une nouvelle raison de se lever le matin : chaque jour, n'apprend-on pas quelque chose ? 

Suaves visiteurs, accrochez-vous : les Jumping Jacques vont vous faire remonter jusqu'à une époque bénie où des voix d'or enregistraient dans l'anonymat le plus total et où Francis Lemarque se révélait totalement groovy. C'est fou, c'est vocal, c'est suave. 


































Mais commençons par un peu de rigueur. A l'origine des Jumping Jacques se trouve Jacques Hendrix, d'où le "Jacques", chanteur et arrangeur, qui à la tête du "Jacques Hendrix et son orchestre", enregistra dans les années 60 une certaine quantité de disques de danse. 

La moustache fringante et le cheveu discipliné, Jacques ne se contenta pas d'enflammer les pistes avec de nouvelles danses insensées, non, même si c'était déjà très louable comme intention. 























De façon relativement anonyme, Jacques Hendrix prêta également sa voix, son sens du rythme et son impeccable technique de déchiffrage musical aux très nombreux groupes vocaux qui fleurirent en France à partir du milieu des années 50. 

L'histoire de ce mouvement est assez facile à retracer puisqu'elle tient en trois dates fondatrices : 1954, les Blue Stars of France de Blossom Dearie, 1959, les Double Six de Mimi Perrin et 1962, les Swingle Singers de Ward Single. 


















Devant le succès invraisemblable rencontré par ces formations (4 Grammy awards pour les Swingle Singers...), la plupart des maisons de disques françaises lancèrent, au choix, leur quintet, leur octuor, voire équipes de foot : les Barclays étaient 24 n'en étaient que plus joyeux. Et les chanteurs passaient allègrement d'une formation à une autre, ce qui ne posait aucun problème puisque les noms étaient rarement indiqués. 

Accompagnant des vedettes confirmées ou gravant occasionnellement quelques vinyles à leurs noms, ces groupes avaient tout de même la particularité de reposer sur des organes incomparables, des ultra professionnels de l'enregistrement dont nous ne nous lassons pas d'égrener les patronymes : Christiane Legrand, Danièle Licari, Mimi Perrin, Anne Germain, Janine de Waleyne pour n'évoquer que les voix féminines. Un rêve. 
























Comme il est difficile de laisser dans l'ombre des talents bien trop grands pour se contenter des quatre murs d'un studio, certaines de ces voix furent enfin associées à un visage. Seule Anne Germain resta relativement dans la confidentialité, même si elle demeure le timbre le plus connu des chanteuses anonymes : Catherine Deneuve dans "Les demoiselles" ou "Peau d'âne", "L'île aux enfants", les chansons invraisemblables de Jean Yanne dans "Tout le monde il est beau...". Un palmarès imbattable s'il en est. 

Mais revenons à Jacques Hendrix dont vous vous dites sans doute que nous l'avons un peu perdu. Membre des Angels, qui chantèrent régulièrement derrière Line Renaud, Jacques eut un jour de 1968 une idée folle : créer son propre ensemble vocal dont la particularité serait de ne chanter que des onomatopées. Avec l'aide, entre autre, d'Anne Germain et de Jean Stout, incroyable basse qu'on entend sur à peu près tout ce qui a été enregistré dans les années 60, 70 et même sur certains titres de Dorothée (?!), il sort "The jumping Jacques" et cela donne ceci : 


Si le mot que vous cherchez est "expérimental", vous comprenez pourquoi ce premier effort passa relativement inaperçu, bien qu'il ait été produit par une maison honnête, les disques Festival (Marie Laforêt, les Surfs) et Francis Lemarque, alors très loin des faubourgs parisiens et des ritournelles de la Butte.

Un an plus tard en 1969, sortait l'album "Sugar and Spice", cette fois chez l'énorme Polydor, et dont nous pouvons dire qu'il est parfait. Jacques tira-t-il quelques leçons du premier opus ? Francis fut-il particulièrement inspiré par la BO de "Playtime" de Tati qu'il avait composé ? Devons-nous supputer une intervention divine ? Peut-être un peu de tout cela à la fois.





Idéal pour vaquer à des occupations domestiques, rouler dans les limitations autorisées sur l'autoroute ou pour accompagner un pique-nique aux beaux jours (ou en ce moment même si vous êtes équipés de Kway), "Sugar and Spice" des Jumping Jacques est l'album qui vous manquait pour être heureux, un condensé de 1969 qui ne serait jamais entré dans un tube. 






















Chantez, dansez, aimez sur ces 12 merveilles dont pas une n'est à écarter. Tel est notre cadeau du jour. Ne dîtes rien, juste "merci Jacques". 













Et pour télécharger tous ces tchakaboom et ces doodoobee au format zip, vous savez comment faire. 

Mais avant de poursuivre, un café peut-être...


































Noir et sans sucre pour nous, merci. Mais toujours avec le sourire. Parce que c'est important le sourire... Tout comme un détartrage régulier mais cela va sans dire. 

Vous n'allez tout de même pas sortir en cheveux ?


































Ce n'est pas parce que c'est le weekend qu'il ne faut pas faire un effort. Helen Mirren montre l'exemple et propose l'option "Hedda Hopper". (Vue dans "Trumbo" comme il n'aura échappé à personne...)

Bienvenue dans "Soyons-Suave Weekend" !

































Comme chaque weekend, ou presque, ou vraiment presque, ou vraiment vraiment presque si nous regardons les dernières semaines, Soyons-Suave devient "Soyons-Suave Weekend", c'est à dire la même chose mais en plus "fin de semaine", un supplément détente qui vous permettra, sans erreur, d'affirmer que, oui nous sommes samedi, crévindiou nous sommes dimanche.

Et au programme de ce 118e numéro réalisé sans filet et avec les moyens du bord : un chapeau, une idée repas, de la mode, des mp3 expérimentaux mais bondissants, une caresse, une anecdote presque trop jubilatoire pour être vraie, une touche Brazil et du café. 

De belles histoires, de douces musiques, de chatoyantes couleurs pour vos yeux. C'est le weekend. C'est "Soyons-Suave weekend" !