dimanche 29 avril 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Dionne Warwick emprunta une chanson à Sacha Distel.


Au printemps 1966, Dionne Warwick est à Paris où elle doit se produire à l'Olympia en première partie de Sacha Distel. Les deux artistes se connaissent depuis le milieu des années 60 et la sympathie indéniable qui les unie est, d'après les rumeurs, en train de se transformer en quelque chose de plus romantique. Sacha est pourtant officiellement le compagnon de Brigitte Bardot, voilà sans doute pourquoi les deux chanteurs ne sont pas très bavards sur ce point.

Une chose en tout cas les réunit, Florence Greenberg. A l'origine simple femme au foyer s'ennuyant un peu au fin fond du New-Jersey, Florence Greenberg va, avec l'aide d'un époux très compréhensif, réaliser un de ses fantasmes : créer une maison de disques. Elle a presque 50 ans, elle ne connait absolument rien à l'industrie du disque mais cela ne l'empêche pas de fonder en 1958 Tiara Records, qui se fera connaître en lançant les Shirelles. Revendant Tiara, elle crée l'année suivante Scepter records et le conte de fée commence.


Suivant un flair exceptionnel, Florence Greenberg va prendre sous contrat un triumvirat qui va faire sa fortune : Dionne Warwick, Burt Bacharach et Hal David, qui resteront les stars de son entreprise jusqu'à ce que Florence prenne sa retraite en 1976.

Pour revenir en 1966, Florence Greenberg envisage sérieusement de signer également Sacha Distel ce qui explique pourquoi Dionne, l'étoile de Scepter Records, se retrouve en sa compagnie sur la scène de l'Olympia. L'occasion également de sortir un album avec quelques titres en français ce qui est toujours suave.


Dionne Warwick est à l'époque peut-être la seule artiste internationale à pouvoir rivaliser en popularité avec les Beatles. Si les jeunes vénèrent les chevelus de Liverpool, les réfractaires au rock trouvent en Dionne une autre façon d'apprécier la musique moderne.

Dionne est donc, elle aussi, la chanteuse dans le vent, avec, déjà, d'immenses tubes à son actif : "Walk on by", "Don't make me over", "Anyone who had a heart", "A house is not a home", "Wives and lovers", "You'll never get to Heaven", "This empty place", tous signés Bacharach/David, donnant lieu parfois à d'étranges sorties en 45 tours sur lesquels Dionne Warwick ne ressemble pas vraiment à Dionne Warwick.


Sacha Distel est, lui, l'homme des "Scoubidou", de "L'incendie à Rio" et de "la belle vie" dont il n'a pas encore enregistré la version française mais qui, sous le titre "The Good life", est devenue en 1962 un succès mondial, chanté par Tony Bennett et en gros tous les gens sachant tenir un micro. Et pour son Olympia 66, il cherche une nouvelle chanson qui correspond à la tournure internationale qu'est en train de prendre sa carrière.

En bonne amie, c'est Dionne qui lui suggère une chanson écrite par, qui d'autres, Burt Bacharach et Hal David, intitulée "Message to Martha", dans laquelle un homme désespéré demande à un merle bleu du Kentucky de convaincre sa fiancée, partie chercher la gloire à la Nouvelle Orléans, de revenir auprès de lui. Composée en 1962, cette chanson a déjà été interprétée à de nombreuses reprises sans jamais devenir un véritable hit, si ce n'est en Australie par le britannique Adam Faith.


Nous ne saurons jamais pourquoi, interprétée en allemand par Marlène en 1964, le merle bleu du Kentucky s'est transformé en rossignol, Sacha en tout cas fait enregistrer un playback de "Message to Martha", pour finalement décider que cette chanson n'est pas pour lui. Il ne la chantera pas à l'Olympia.

Reste donc une bande orchestre réalisée avec soin par Jacques Denjean, compositeur, arrangeur et ancien membre des Double Six et surtout une chanson de Bacharach que Dionne ne peut pas chanter puisqu'elle adopte un point de vue masculin et s'adresse à une Martha. Dionne en fait tout de même part à Burt et Hal David, le premier s'opposant fermement à ce qu'elle chante cette composition déjà ancienne, le second expliquant que, dans l'hypothèse où elle se l'approprierait, la seule solution pour Dionne serait de changer Martha en Michael (métrique oblige) qu'il trouve un prénom atroce. Comme nous le savons tous, Dionne ne va pas vraiment tenir compte de ces remarques.


Enregistrée donc à partir d'une bande orchestre destinée à Sacha Distel, avec des choristes françaises qui auront un peu de mal à s'approprier la bonne prononciation de "Michael", la version féminine de "Message to Martha" ne sortira qu'en face B du nouveau 45 tours de Dionne Warwick et ne convaincra Bacharach et Florence Greenberg qu'elle peut devenir un hit qu'après un succès immédiat sur les radios de la Nouvelle Orléans.

"Message to Michael" marquera le retour de Dionne Warwick dans les charts, la chanson se classera à la 8ème place du classement général et à la 5ème de celui, plus spécialisé, du R&B, position que Dionne ne retrouvera que l'année d'après et pour la dernière fois avec sa version de "Alfie", titre également au départ sorti en face B.

Il est donc parfois suave d'être obstiné et toujours utile de savoir accommoder les restes. Et n'en voulons pas à Burt Bacharach d'avoir été un peu obtus : il a tant fait pour la suavitude que presque tout peut lui être pardonné.

5 commentaires:

Jérôme (moins anonyme) a dit…

Heu, elle est tartignole la chanson!
Bon, c'est quand même mieux chanté par Dionne que par Marlène...

soyons-suave a dit…

Jérôme, vous n'avez jamais rien demandé à un merle bleu ?

soyons-suave a dit…

Alors vous ne pouvez pas comprendre...

Jérôme (moins anonyme) a dit…

Si je peux être flatté d'être pouvoir choisi comme porteur de messages, je préfère délivrer les miens en main propre.
Et les chanteurs/ siffleurs font trop de bruit pour être de confiance.

Fabrice a dit…

L'Ange bleu et le merle bleu...

Comment Bacharach a-t-il pu abandonner Marlene pour Dionne ? Pour se venger, Marlene racontait partout comment elle soignait les blennorragies de Burt... Ah, l'humour allemand !