dimanche 22 avril 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où il y eut deux gagnantes.


Le 14 avril 1969 se déroula un évènement qui ne s'était produit qu'une fois dans l'histoire des Oscars : une égalité. L'histoire est fort célèbre : pour leurs prestations dans "Funny Girl" de William Wyler et "Le lion en hiver" d'Anthony Harvey, Barbra Streisand et Katharine Hepburn durent se partager la statuette comme, en 1932, Wallace Beery et Frederic March.

A l'époque, les deux acteurs n'avaient pas reçu l'exact même nombre de votes puisqu'un point de règlement de l'Académie stipulait que si moins de 3 voix séparaient deux nominés, une égalité serait décidée. En 1969 la règle avait été supprimée et l'Académie des Oscars put annoncer, ébahie, que les deux actrices, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, avaient reçu chacune exactement 3030 votes.


Que Streisand, pour son premier rôle au cinéma soit remarquée n'était pas une surprise : depuis la sortie de "Funny Girl", les bookmakers la donnait gagnante. Personnalité ayant sans doute connue l'ascension la plus spectaculaire depuis les 30 dernières années, Streisand était déjà une star du disque, de la télévision et de Broadway.

Elle avait visiblement mis un peu de temps à accepter sa défaite du Tony Award remporté, alors qu'elle était la lauréate attendue, par Carol Channing. Elle allait se consoler avec l'Oscar.




La victoire de Katharine Hepburn était, elle, plus surprenante, non parce qu'elle ne semblait pas méritée mais parce qu'elle était inattendue. Hepburn venait de recevoir l'oscar de la meilleure actrice l'année précédente pour "Devine qui vient dîner", un prix rapidement vu comme un témoignage de sympathie.

Peu de temps avant la cérémonie de 1968, Spencer Tracy avait disparu, ce qui avait fait dire à George Cukor : "C'est la première fois qu'on rend hommage à un acteur en couronnant sa partenaire".

En 1969, Katharine Hepburn n'était pas présente dans la salle, ne croyant pas une seconde pouvoir l'emporter et jugeant impossible d'être là et de perdre devant les caméras.



Nominée également pour sa prestation dans le premier film réalisé par son mari Paul Newman, Joanne Woodward ne se faisait guère d'illusions quant à sa victoire et n'assistait à la soirée que contrainte et forcée. Film à petit budget, "Rachel Rachel" avait pourtant remporté un certain succès, qu'on disait dû uniquement à l'extraordinaire campagne de promotion effectuée par le couple.

En découvrant que Paul n'apparaissait pas dans la catégorie "Meilleur réalisateur", Joanne s'était aussitôt écriée qu'elle boycotterait la cérémonie. Pour finalement s'y rendre, ajoutant que Paul y tenait et qu'elle faisait toujours ce que son époux lui disait de faire.



Produit par la Universal, "Isadora" sur la vie d'Isadora Duncan avait eu droit à une sortie précipitée et surtout anticipée lorsque le studio avait réalisé qu'il n'avait rien à proposer aux Oscars. Que Vanessa Redgrave y soit éblouissante importait peu : militant pour l'arrêt de la guerre au Vietnam, l'actrice était devenue personna non grata à Hollywood.

Quand son nom était apparu sur la liste des actrices retenues pour l'Oscar, un vent de protestation s'était élevé. Voter pour Redgrave, c'était voter pour le Viet Cong, pouvait-on lire sur des pancartes accueillant les invités à la cérémonie. La statuette récompensant, aussi, la popularité d'un acteur, c'est dire si Vanessa Redgrave pouvait être sereine face à la compétition : elle n'avait aucune chance.



Streisand trop jeune ( et doublée d'une réputation déjà épouvantable), Hepburn fraîchement récompensée, Woodward morose, Redgrave pestiférée : tout pouvait finalement conduire à une victoire de Patricia Neal qui avait, dans "The subject was roses", effectué un comeback spectaculaire.

Oscarisée en 1963 pour "Le plus sauvage d'entre tous", Neal s'était retirée des écrans à la suite d'un anévrisme en 1965 qui l'avait laissée dans le coma pendant trois semaines, en partie paralysée et surtout pratiquement bègue. Choix numéro 1 de Mike Nichols pour interpréter Mrs Robinson dans "Le lauréat", elle avait laissé sa place à Anne Bancroft parce qu'elle n'était pas prête à faire son retour. "The subject was roses" était son retour.


Le lendemain de la victoire de Streisand et Hepburn, de nombreux journalistes se penchèrent sur la surprenante égalité parfaite entre les deux actrices pour découvrir que Streisand avait été très rapidement inscrite sur la liste des votants quand cela prend généralement une à deux années après le premier film de l'intéressé. Son premier film n'était pas encore sorti qu'elle était déjà membre de l'Académie des Oscars. En supposant qu'elle ait voté pour elle, cela indiquait que c'est son inscription qui avait déclenché l'égalité. Si l'Académie avait attendu un an, Streisand aurait en fait perdu d'une voix.

Ce détail surprenant fut cependant noyé dans le déchaînement médiatique autour, non de la victoire mais de la tenue de Barbra à la cérémonie, une sorte de pyjama qui se révéla transparent sous les projecteurs et signé Arnold Scaasi, à l'origine Arnold Isaacs et qui, lorsqu'il inversa son nom afin de lui donner une sonorité plus désigner italien, devint le couturier des premières dames des Etats-Unis.


L'Oscar partagé de Hepburn et Streisand ne donna jamais lieu à une photo des deux lauréates brandissant leurs statuettes. Streisand envoya cependant un télégramme à sa nouvelle amie lui déclarant à quel point elle était heureuse de lui être comparée mais lui demandant comme un service de ne jamais chanter. Hepburn n'écouta pas et fit ses débuts sur scène dans "Coco", comédie musicale sur la vie de Chanel où elle prouva que la demande de Streisand était légitime.

Mais finalement, la vraie perdante de ces Oscars 1969 fut Bette Davis, pourtant ni présente, ni nominée, mais qui avait toujours déclaré vouloir être la première actrice à remporter trois oscars. La récompense d'Hepburn pour "Le lion en hiver" fut ce troisième tant convoitée, affront suprême à Davis qu'Hepburn trucidera en en remportant un quatrième en 1981 pour "La maison du lac".


Bette Davis décédera en 1989 à Neuilly sur Seine, trois ans après avoir reçu un Cesar pour l'ensemble de sa carrière, ce qui dut être une franche consolation mais toujours lauréate de seulement deux Oscars.

Les quatre trophées de Katharine Hepburn sont visibles depuis peu au Smithsonian Museum de Washington DC.

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