dimanche 15 avril 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Janet Gaynor partit pour Hawaï.


En 1930, Janet Gaynor n'est pas contente. Cela ne se voit peut-être pas, tant il est difficile de faire disparaître de son visage cet air bonhomme qui a fait d'elle une star et pourtant, elle fulmine. Née en 1906, elle a fait ses débuts sur les écrans en 1926. Voilà donc 4 années qu'elle navigue à Hollywood et le moment est venu de faire le point.

Contemplant d'un oeil lucide son parcours, un seul mot lui vient à l'esprit : exceptionnel ! Ce n'est pas de la vanité mais la simple vérité. Il ne lui a fallu qu'un an et quelques films pour devenir une des personnalités les plus aimées du 7ème art. Distinguée dès la première année, avec Joan Crawford, Dolores Del Rio, Fay Wray et Mary Astor, comme une des débutantes à suivre, 1927 a été au-delà de ses espérances, 1928 lui apportant la consécration suprême : l'oscar de la meilleure actrice lors de la toute première cérémonie de remise du prestigieux prix.



Janet Gaynor peut être particulièrement fière de ce qu'elle a accompli, d'autant que son succès ne doit rien aux atouts traditionnels et attendus d'une star. Janet Gaynor n'est pas glamour, elle n'est pas provocante. Elle n'est pas devenue ce qu'elle est en 1930 par un mariage (pensez Norma Shaerer...) ou une personnalité mystérieuse et intrigante (pensez Greta Garbo...). Elle n'est ni Theda Bara, ni Mae Murray et encore moins Gloria Swanson.

La vedette dont elle peut éventuellement se sentir la plus proche serait Mary Pickford à laquelle on la compare fréquemment. Et c'est peut-être justement cela le problème. Mary a été "la petite fiancée de l'Amérique" et bien qu'elle soit aujourd'hui une femme d'affaire redoutable et respectée, ayant coupé ses anglaises depuis longtemps, c'est ainsi qu'on continue de la voir.



Si Janet Gaynor est donc furieuse en 1930, c'est que cela fait 4 ans qu'elle joue plus ou moins le même rôle. Epouse bafouée mais finalement victorieuse dans son plus grand triomphe, "L'aurore" de Murnau, elle n'a de cesse d'être à l'écran une jeune femme sympathique, affrontant l'adversité sans jamais baisser les bras. Sur les écrans elle a connu le caniveau, les bastringues, les fermes isolées. Elle a attendu sagement le retour du front de son fiancé. Et le fait que celui-ci soit inlassablement joué par George O'Brien ou Charles Farrell n'arrange rien à la lassitude qui l'accable.

Les choses auraient pourtant dû changer lors de sa plus grande victoire personnelle : à la différence de la plupart de ses consoeurs, Janet Gaynor a en effet passé l'épreuve du son. Et star du muet, elle s'est retrouvée, propulsée dans l'aventure du cinéma parlant, par ni plus ni moins qu'une comédie musicale. Jusqu'à présent elle ne parlait pas, en un film on la vit, non seulement s'exprimer mais chanter et danser.



Alors que les studios hollywoodiens, en investissant dans la sonorisation, perdaient la plupart de leurs stars, la Fox pouvait être fière que son étoile continue d'être numéro 1. Mais il ne fallait pas brusquer le public, déjà légèrement perturbé par l'apparition du dialogue. On demanda donc à Janet Gaynor de continuer à faire la même chose. Et c'est ainsi qu'en 1929, elle tourna 3 films avec Charles Farrell, d'une similitude confondante.

C'est ce qui rend furieuse Janet Gaynor en 1930. Dans son prochain film, on lui demande d'être, face à, surprise, Charles Farrell, une jeune femme aimante qui découvre qu'elle est enceinte. Le scénario est tiré de la pièce "Liliom" de Ferenc Molnar et doit être réalisé par Frank Borzage. Encore un rôle d'éplorée. Janet refuse et part pour Hawaï.


Le départ de Janet Gaynor pour Honolulu n'a rien à voir avec une passion méconnue pour le surf ou les ananas, il faut plutôt l'envisager comme une fuite. En fait, le parallèle est évident : Janet Gaynor a décidé de faire sa Garbo. L'histoire est célèbre, en 1926, alors que ses films triomphent, Greta Garbo, mécontente de son salaire et de la façon dont la traite la MGM, va se mettre en grève, menaçant de rentrer définitivement en Suède si les choses ne changent pas.

Après presque un an de tractations, Louis B. Mayer va céder. Garbo aura dorénavant un contrôle sur ses films, le choix de ses réalisateurs et de ses partenaires et verra son salaire passer de 500 à 2500 $ par semaine. On ignore encore aujourd'hui si la rumeur concernant la taille gigantesque de ses pieds est vraie, il est par contre évident que le sphinx suédois les avait sur terre.


Janet Gaynor, à peine installée sur un transat de Waikiki, prévient Winfield Sheehan, chef de production à la Fox, qu'elle ne rentrera à Hollywood qu'avec la garantie de meilleurs rôles, de rôles différents, de rôles enfin intéressants. Le problème est que Janet Gaynor a assez mal choisi son moment pour faire grève. Et elle va rester presque un an dans le Pacifique.

Crée en 1915, le studio dont Janet est la star incontestée a toujours été considéré par son dirigeant, William Fox, beaucoup plus comme l'occasion de formidables tractations immobilière que comme une machine à produire de l'art. En 1930, le studio a peu de stars mais un phénoménal réseau de salles, de gigantesques terrains à Hollywood et il possède les brevets exclusifs d'un procédé sonore qui fait sa richesse : le Movietone. Seulement voilà, en 1929, William Fox a été victime d'un accident de la route qui lui a fait dépenser une partie de sa fortune en frais hospitaliers. Le crack de 29 a fait fondre le reste. En 1930 la Fox va mal.



On fait donc rapidement comprendre à Janet Gaynor qu'il serait absurde de saborder la dernière valeur sûre du studio en la distribuant dans des productions où le public ne retrouverait pas ce qu'il est venu chercher. Janet râle, Janet prend quelques coups de soleil et reprend un Maï-Taï et finalement Janet cède. Elle rentre à Los Angeles fin 1930 un peu déconfite.

Entre 1931 et 1935, elle retrouvera à 4 reprises Charles Farrell, qui a entre temps quitté la Fox mais auquel on a signé un contrat spécial pour des films dont Janet est la vedette. Lentement Janet Gaynor s'étiole. La piètre qualité de ce qu'on lui fait jouer fait inévitablement pâlir son étoile. Et elle comprend que quelque chose a définitivement changé lorsqu'en 1934, on l'associe à la dernière découverte du studio : Shirley Temple.



Le coup de grâce pour Janet Gaynor va se produire le 31 mai 1935 lorsque la situation impossible de la Fox, depuis 3 ans en redressement judiciaire, va obliger William Fox, d'ailleurs en prison, à fusionner avec la Twentieth Century Pictures. Studio crée par l'association improbable de Darryl Zanuck, anciennement de la Warner, Joseph Schenck, anciennement de la United Artists et avec des fonds de Louis B. Mayer lui-même, la Twentieth Century est l'inverse absolu de la Fox : pas de salle, pas de terrain mais des stars en pagaille dont Loretta Young est la plus brillante.

Dès la création de la Twentieth Century Fox, Zanuck renvoie Sheehan et prend sa place. C'est lui qui dirige à présent la production et commence ses fonctions en signant une pléiade de nouveaux visages : Tyrone Power, Betty Grable, Linda Darnell, tout en capitalisant sur la notoriété en plein essor de Shirley Temple.

Janet Gaynor fait désormais partie du passé. Elle rachète son contrat.


C'est de façon indépendante que Janet Gaynor poursuivra sa carrière mais pour peu de temps. Après deux films à la MGM où elle voit débuter Henry Fonda et Robert Montgommery, elle tourne pour son ancien studio mais face aux deux plus grandes stars de la Twentieth Century, Constance Bennett et Loretta Young. Associée à Selznick, elle sera cependant la première Esther Blodgett dans "Une étoile est née" version 1937. Elle a 31 ans. Elle abandonne le cinéma.

Malgré tout Janet Gaynor ne disparaîtra pas comme Greta Garbo, son inspiratrice gréviste et elle mènera une existence assez suave, faite de réceptions à Palm Springs, son nouveau port d'attache, de mariages surprenants et d'amitiés féminines plus ou moins discrètes jusqu'à un accident de voiture en 1982 dont les suites entraîneront son décès deux ans plus tard en 1984 à l'âge de 77 ans.



Janet Gaynor fait partie de ces actrices un peu oubliées mais dont on comprend instantanément pourquoi elles ont été si aimées du public lorsqu'on a la chance de les voir sur un écran. Malgré les années, l'indigence fréquente des scénarios et la technique parfois aléatoire, il est impossible de ne pas la trouver si sympathique, si fraîche, si pleine d'une vitalité saine. Précisément ce pourquoi elle arrêta de travailler pendant un an.

Perte de temps ? Jamais lorsqu'on se trouve à Hawaï...

2 commentaires:

Manou a dit…

Destin suave? Aujourd'hui, quelqu'un lui aurait peut-être proposé un contrat pour tourner les Aventures de Betty Boop, n'aurait-ce pas été non moins suave?
Manou

soyons-suave a dit…

:)
Vie assez étrange et destin finalement relativement tragique sous certains aspects. Le côté suave que nous soulignions porte surtout sur ses années post cinéma, une vie oisive et mondaine donc suave, si l'on aime ça.
Et bienvenue Manou.