dimanche 20 novembre 2011

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Marilyn mit une robe lamée.


Le 9 mars 1953, afin de recevoir le prix de "La nouvelle star de l'année" que venait de lui décerner le magazine Photoplay, Marilyn Monroe se rendit au Beverly Hills Hotel moulée dans une robe plissée lamée prétendument cousue sur elle puisqu'elle ne possédait ni bouton ou fermeture éclair. La légende prétant que Marilyn ne put enfiler la chose qu'après des heures d'irrigation colonique mais cette rumeur n'est pas assez suave pour que nous la colportions ici.

L'histoire est en tout cas célèbre : cette robe, largement ouverte dans le dos et à l'origine décolletée jusqu'au nombril mais là quelque peu relevée, fit le lendemain la une de toute la presse et déclencha la fureur de Joan Crawford, qui entama une croisade très médiatique contre Marilyn et la déchéance morale qui, de toute évidence, guettait Hollywood. Marilyn fut, déclara-t-elle, meurtrie par une telle attitude, d'autant qu'elle estimait Joan, si gentille avec elle au début de sa carrière...



Marilyn accéda ce jour là à une notoriété qui ne s'arrêtera jamais et la robe contribua à faire de la "vedette de l'année" une icone, une robe dont elle est désormais totalement indissociable : c'est d'ailleurs la tenue la plus vendue de la Barbie Marilyn, juste devant la robe blanche de "7 ans de réflexion". Une robe donc, que Marilyn faillit pourtant ne pas porter. Une robe qui a une histoire, que nous allons à présent vous raconter.

Tout commence en 1951 dans les studios de la Fox où le jeune chef costumier, William Travilla, transpire sur le prochain film de Ginger Rogers, "Dreamboat". Travilla, auréolé d'un oscar pour son travail chez Warner sur "Les aventures de Don Juan" avec Errol Flynn était entré à la Fox en 49. Et il était encore sous le charme de sa récente rencontre avec une jeune starlette du studio, une certaine Marilyn Monroe qu'il habillera dans 8 films mais il l'ignore encore.


Travilla était en tout cas assez fier de la robe lamée qu'il venait de créer pour Ginger, une robe à fines bretelles, plissée et agrémentée d'un pan en biais, qu'on jugera d'ailleurs si spectaculaire qu'elle figurera sur l'affiche. Devenus amis et peut-être un temps amants, Marilyn demandera à Travilla de lui créer une robe similaire si d'aventure ils étaient amenés à travailler ensemble ce qui ne tardera pas : ils sont tous les deux au générique de "Troublez-moi ce soir" et "Chérie je me sens rajeunir", ne serait-ce qu'en 1952.

Mais dans ces deux productions, Marilyn n'a pas de rôle lui permettant le glamour du lamé, ce qui change lorsqu'ils signent pour "Les hommes préfèrent les blondes", qui s'annonce comme un festival de fourreaux pailletés, de tailleurs doublés de vison et de robes du soir spectaculaires. Le lamé peut faire son retour et c'est d'ailleurs le même modèle dessiné un an auparavant pour Ginger que Travilla propose d'abord, au milieu des dizaines de croquis soumis à la production, avant de le modifier pour le rendre original.


Considérant Marilyn comme la muse qu'il cherchait désespérément, Travilla va créer des modèles sublimant son corps sculptural, repoussant parfois de beaucoup les limites imposées par la censure qui va cependant exiger de larges retouches en raison d'un calendrier, pour lequel Marilyn a posé nue alors qu'elle n'était encore qu'une inconnue et dont les clichés viennent mystérieusement de ressortir.


Dans un élan de panique, la Fox demande à Travilla de revoir tous les costumes de Marilyn et c'est ainsi, par exemple, que le modèle, crée pour le numéro "Diamonds are a girl's best friend", à l'origine très suggestif et pratiquement transparent, sera remplacé en catastrophe par un fourreau rose qu'il n'est plus nécessaire de présenter.


Quant à la fameuse robe lamée fortement échancrée, elle ne sera utilisée que lors d'une brève séquence, filmée de dos, c'est du moins ce qui survécut au montage quand les photos de tournages nous la présente dans un angle bien plus révélateur. C'était pourtant un fort beau modèle, prêt désormais à regagner les archives costumes de la Fox, un modèle destiné donc à disparaître.


Mais en 1953, alors que le tournage des "Hommes préfèrent les blondes" est en train de s'achever, Marilyn, qui commence à collectionner les prix comme "l'actrice la plus populaire de l'Arkansas" ou "La meilleure amie des diamants" par l'Association des Bijoutiers Californiens doit recevoir celui décerné par le Club de la Presse de Los Angeles.

Alors qu'une cérémonie a lieu en ville, les photos de presse sont réalisées dans les studios de la Fox et pour l'occasion Marilyn fait ressortir la fameuse robe défendue afin d'accueillir le très redouté échotier Walter Winchell qui, face à elle, ne semble pas terrifiant. Et si vous vous demandez pourquoi il tripote des boules de billards, il s'agit en fait du prix de l'actrice la plus appréciée.


Visiblement toujours amoureuse de la robe, lorsqu'un mois plus tard Marilyn doit se rendre au Beverly Hills Hotel pour la soirée Photoplay, c'est sur elle que son choix se porte mais cette fois-ci, Travilla refuse de la lui prêter. Jugeant qu'il s'agit d'un costume de film n'ayant rien à voir dans la vraie vie, il tente de la convaincre de porter quelque chose de plus sobre. C'est auprès de Zanuck lui-même, patron de la Fox, ravi par le premier montage des "Hommes préfèrent les blondes" que Marilyn insiste et elle obtient ce qu'elle veut, faisant juste remonter le décolleté du nombril à la naissance des seins.

De toutes les façons il est trop tard pour arrêter l'ascension du lamé. Devant la couverture de presse reçue par Marilyn et sa robe, une séance photo est demandée afin d'accompagner la sortie du film. Marilyn est partout et sa robe aussi.





Bientôt les tournages reprennent et Marilyn et Travilla vont continuer de travailler ensemble. Leur amitié durera jusqu'à la mort de l'actrice pour laquelle il dessinera les costumes les plus marquants, de "La rivière sans retour" à "Bus-stop" jusqu'à bien sûr, cette petite chose blanche qui se vendit plus de 4,5 millions de dollars il y a quelques mois à Los Angeles lors de la vente Debbie Reynolds.




Qu'advint-il de la robe ? Pour sa part, elle ne finit pas sa carrière immédiatement puisqu'on l'aperçut régulièrement portée par d'autres vedettes maison, agrandie ou rétrécie selon l'actrice mais toujours lamé et toujours plissée, sauf peut-être sur Jayne Mansfield pour cause de manque d'élasticité du tissu.




Et Hollywood sachant recycler mieux que personne, même le costume prévu initialement pour "Diamonds are a girl's best friend" fut modifié et porté par Sheree North, rivale de Marilyn à la Fox dans "La blonde fantôme" en 55, projet refusé par Marilyn.



La robe lamée prit enfin une retraite paisible dans les années 70 entre les mains d'un collectionneur. Celle qui circule dans les expositions n'est en fait qu'une copie, réalisée tout de même par Travilla. Celui-ci consacra 10 ans de sa vie à promener ses créations pour Marilyn à travers la planète, jusqu'à ce qu'on le sauve de la retraite en lui confiant la garde-robe des femmes de "Dallas" et les soutanes des "Oiseaux se cachent pour mourir".

En 1979, le couturier britannique Anthony Price, l'homme derrière le look parfait de Bryan Ferry et Roxy Music haussa les sourcils lorsqu'on lui demanda si sa dernière création couture était un hommage à la fameuse robe lamée de Marilyn. Et il balaya la comparaison en précisant que celle de l'actrice était or alors que la sienne brillait d'un bronze éclatant.




C'est vrai, cela n'a rien à voir... Étrangement, personne n'osa le rapprochement lorsque Michelle Obama présenta un modèle pourtant plissé, pourtant lamé, pourtant or à la présentation de la ville de Chicago pour les Jeux d'Hiver 2016. C'était pourtant bien tenté. Désolés Michelle. La prochaine fois peut-être ?


Une robe, ce n'est jamais qu'un peu de tissu et un peu de fil. Belle carrière quand même pour si peu de choses... mais si jolies et si bien portées.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Formidablement passionnant! vous êtes un vrai puits de science chère SoSu! (enfin, d'histoire surtout!)

soyons-suave a dit…

N'est-elle pas incroyable l'histoire de cette petite robe ? Et chère Valentine, vous savez qu'une belle histoire vous attend tous les dimanches...

Anonyme a dit…

Et pour compléter, la robe de Marilyn atterira également sur Evelyn Keyes :-)
Celine la saga